Le télétravail, une avancée pavée d’écueils

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Le 6 décembre dernier, l’Observatoire du télétravail (une initiative de l’Ugict-CGT visant à anticiper les transformations du travail) a publié les résultats de son enquête lancée en juillet 2023 sur les conséquences du télétravail et du travail hybride. Près de 7 800 réponses ont été recueillies, dont 5 400 exploitables. Quelques résultats :

Le profil-type du télétravailleur… est une télétravailleuse !

Le profil-type des salarié·es concerné·es par ce mode de travail est une femme jeune (entre 30 et 39 ans), qui travaille dans le privé, comme cadre ou comme ingénieure dans le secteur de l’informatique et des télécommunications ou de l’industrie. Elle travaille en présentiel en moyenne trois jours par semaine.

 

Un télétravail hybride plébiscité pour équilibrer temps de vie perso/temps de vie pro

92 % des répondant·es vivent plutôt bien ou très bien leur situation en télétravail. Ce plébiscite trouve sa source dans la recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il n’apparaît cependant pas comme un vecteur de changement radical du travail.

Ce meilleur équilibre trouve également sa source dans l’économie du temps de transport. Principale motivation à la demande de télétravail (91 %), elle atteint entre une heure et et une heure trente par jour télétravaillé pour 51 % des répondant·es. La fréquence des pauses est également réduite pour 40 % des salarié·es. Le temps gagné est principalement alloué à la vie personnelle.

La satisfaction des salarié·es quant à la quantité de travail est éloquente :

Encore de nombreux écueils… au bénéfice des employeurs

Le gouvernement a tout fait pour que la réglementation relative au télétravail reste floue et peu contraignante… et le patronat en profite !

Concernant le temps de travail, si 65 % des répondant·es indiquent avoir la possibilité d’adapter leurs horaires de travail à leur vie personnelle, 40 % d’entre elles et eux déclarent que leur employeur·se n’a pas défini de plage horaire sur laquelle elles et ils se doivent d’être joignables… et 13 % ne savent même pas si une telle plage horaire existe ! Cette absence brouille la frontière entre temps consacré au travail et temps consacré à la vie de famille ou à la vie sociale.

De fait, alors que les employeur·ses sont normalement tenu·es d’évaluer le temps que les salarié·es passent à travailler :

Faute de visibilité précise sur le temps de travail et de droit à la déconnexion, il existe un risque que le ou la salarié·e travaille « gratuitement » pour son employeur·se, sans possibilité de récupération ou de rémunération du temps supplémentaire. Sans réduction du temps de travail effectif, les tentatives individuelles des salarié·es de conjuguer travail et vie personnelle ne masqueront plus pour très longtemps les mauvaises conditions de réalisation du travail.

Le télétravail peut également représenter un coût financier pour les salarié·es – et une aubaine économique pour l’employeur·se.

Pourtant, les employeur·ses bénéficient d’exonérations de cotisations et contributions sociales pour la prise en charge des frais induits par le télétravail à hauteur de 10,40 euros par journée de télétravail fixe – cette somme est un plancher, pas un plafond. Les employeur·ses réalisent ainsi de drastiques réductions de coût, au détriment de son obligation de fournir aux travailleur·ses tout l’équipement nécessaire pour travailler dans de bonnes conditions.

Il en va de même pour l’obligation de sécurité : alors que l’employeur·se doit organiser le travail pour permettre aux salarié·es d’en être libérées afin de pouvoir se soigner, 31 % des répondant·es indiquent télétravailler en étant malade plutôt que se mettre en arrêt, pour éviter une perte de salaire ou parce que leur charge de travail est trop importante.

 

Coup de pied dans l’organisation du travail… et le syndicalisme

Avec l’arrivée du télétravail, les réorganisations d’espace de travail (pour économiser sur les loyers et les fluides) se sont mises en place au pas de course, sans consulter ni les salarié·es ni leurs représentant·es.

Cette situation est à mettre en regard de la récente volonté de certain·es employeur·ses d’un retour des salarié·es au bureau, notamment en limitant le nombre de jours de télétravail par semaine. Ce retour sur site rend le travail encore plus compliqué qu’il n’est déjà, car la réduction de l’espace de travail à effectif constant produit une nouvelle charge mentale pour les salarié·es et une insécurité de leur situation de travail, vectrices de risques psychosociaux.

Le management est une autre victime du télétravail : 57 % des manageur·ses estiment que le télétravail rend leur mission de management plus complexe, et 47 % soulignent la difficulté à garder une cohérence de groupe entre les salarié·es en télétravail et sur site – source de désorganisation du travail.

Le syndicalisme est lui aussi rendu plus complexe par le télétravail. Dans nombre d’entreprises et de services publics, les organisations syndicales et élu·es des salarié·es n’ont toujours pas accès aux outils de communication.

Alors que le monde du travail s’engage de plus en plus dans des processus de dématérialisation, de nouveaux droits obligatoires pour les élu·es des salarié·es doivent être octroyé·es par les employeurs pour répondre au besoin de maintenir le lien entre les membres de la communauté de travail et leur représentant·es.

Il faut transformer le télétravail

Cette première enquête nationale de l’Observatoire du télétravail permet de mettre la lumière sur le vécu des télétravailleur·ses et leurs besoins, notamment :

la nécessité que les directions prennent en charge l’intégralité des dépenses afférentes au télétravail, des équipements informatiques, aux abonnements internet en passant par une participation aux frais de loyer et de chauffage ;
l’encadrement du temps passé en télétravail, avec l’application des durées maximales de travail y compris au forfait-jour, et une définition claire des plages horaires sur lesquelles les salarié·es doivent être joignables ;
la garantie du maintien du contact avec les collègues : avec une norme du télétravail qui atteint au maximum un mi-temps pour permettre au collectif de travail de se retrouver au complet, mais aussi de nouveaux droits de communication pour les représentant·es du personnel et des formations pour le management de proximité ;
le droit d’organiser son télétravail librement, avec un droit à la réversibilité à la demande des salarié·es, et la protection contre les systèmes de surveillance au travail ;
un droit réel à la déconnexion avec des trêves d’utilisation des outils numériques et un contrôle des représentant·es des salarié·es personnel sur le respect de ce droit ;
le respect de l’égalité femmes-hommes en contexte de télétravail : la réduction de la charge de travail pour les aidant·es et parents, un droit opposable au télétravail pour les femmes enceintes, la prévention contre les violences sexistes et sexuelles en télétravail, et des outils de prévention contre les violences intrafamiliales telle que cela est prévu par la convention 190 de l’OIT ratifiée par la France ;
un management alternatif, adapté à cette nouvelle réalité professionnelle avec des moyens pour le mettre en oeuvre tels que des formations ;
des lieux de travail adaptés dans lesquels chaque salarié·e a droit au maintien de son poste de travail et peut participer à la conception des espaces de travail qu’il ou elle occupe ;
des droits spécifiques en cas de problèmes de santé ;
des mesures de protection quelle que soit la situation des salarié·es avec la souscription par l’employeur de polices d’assurance. Ce sont ces droits nouveaux que l’Ugict-CGT porte dans chaque négociation sur le télétravail dans les entreprises et les administrations.

Ce sont aussi ceux qu’Eurocadres a portés lors de la négociation européenne sur le télétravail à laquelle le Business Europe, poussé par le Medef, a mis fin il y a quelques semaines (voir l’article « Négociations européennes pour un nouvel accord-cadre sur le télétravail et le droit à la déconnexion »Activité internationales n° 41 – page 30 et suivantes). La CGT continue d’appeler à l’encadrement du télétravail en France et en Europe.

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. ( – Lu)

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