« Le réarmement démographique » : un retour aux valeurs natalistes ?

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Contrôle de la natalité et du corps des femmes : un vocabulaire d’extrême droite

Emmanuel Macron défend une « France plus forte par la relance de la natalité », en utilisant un discours guerrier et nataliste, lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. 

Faisant fi d’un siècle de luttes féministes pour mettre fin à l’assignation des femmes à la sphère familiale et domestique, il reprend par là-même un discours de l’extrême-droite sur le contrôle de la natalité et du corps des femmes. 

Il fait aussi un lien – implicite – avec « le péril migratoire » qui nous menacerait, faute de main-d’œuvre suffisante… N’oublions pas le propos décomplexé du député RN Sébastien Chenu le 13 février 2023 : « Moi, je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. » 

Baisse de la fécondité 

Cette idée de « réarmement démographique » apparait dans un contexte de baisse de la fécondité : depuis la Seconde Guerre Mondiale, on est passé pour la première fois sous la barre symbolique des 700 000 naissances, avec 678 000 bébés en 2023, soit 6,6 % de moins qu’en 2022 et près de 20 % de moins qu’en 2010 (source INSEE) … 

L’indice de fécondité est désormais à 1,68 enfant par femme, contre 1,79 en 2022 et surtout 2,03 dans les années 2010, où la France avait connu un pic de naissances. 

Ce résultat est cependant à relativiser : la France reste en tête sur le plan européen. Mais surtout, le Président n’évoque pas les vraies raisons de cette tendance. 

Des facteurs pluriels à l’origine de la baisse de la fécondité 

La situation macro-économique, le contexte politique y compris international, ou encore les risques écologiques sont des facteurs structurels, contextuels qui amenuisent le désir d’enfant et se mêlent à d’autres variables plus individuelles. 

Le non-désir d’enfants est aussi parfois le fruit d’un « choix sous contrainte » : en cas d’infertilité, mais aussi d’absence de conjoint ou de difficultés économiques personnelles. 

C’est aussi parfois une forme de militantisme féministe héritier de la posture de Simone de Beauvoir, ou de plus en plus souvent, une forme de militantisme écologique. 

À l’inverse, le rôle des politiques publiques, notamment en matière d’articulation des temps professionnels et personnels, peut favoriser ce choix

En France, le fait que relativement à nos voisins nous ayons des modes d’accueil – encore insuffisants pour la petite enfance mais conséquents dès les 3 ans de l’enfant – a été un facteur favorable à la natalité. 

Désormais pour une Française, travailler et avoir des enfants ne s’oppose plus comme auparavant, ou comme dans d’autres pays telle l’Allemagne où les femmes qui décident de faire carrière renoncent encore à la maternité. 

Cependant, les entreprises ne facilitent pas toujours cette articulation des temps et les modes d’accueil sont loin d’être suffisants. 

Parmi les autres explications peu étudiées, le « coût d’être mère » reste élevé et joue un rôle à ne pas négliger dans le refus d’avoir un enfant…  

Le coût de la maternité  

Le plus souvent, on invisibilise le fait qu’être parent pénalise les mères et non les pères. C’est ce que montre l’étude de la Fondation des femmes, « Le coût d’être mère »

Dès l’arrivée d’un enfant, la carrière des femmes sera remise en cause en partie ou en totalité : selon l’Insee, une femme sur deux réduit ou interrompt son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant et un homme sur neuf seulement. 

Les hommes au contraire, notamment cadres, font des carrières d’autant plus fructueuses qu’ils ont des enfants.  

Ce coût d’être mère joue à plusieurs niveaux et moments :  

d’abord pendant la grossesse et durant le congé maternité, il y a des coûts invisibles comme des frais de santé non pris en charge, la garde-robe adaptée… 
 ensuite vient la question épineuse du mode d’accueil, toujours défaillant pour les enfants de moins de 3 ans, dont le coût reste élevé. 56% des enfants sont gardés principalement par leurs « parents », la mère dans la grande majorité des cas. Et pour 20 % d’entre elles, c’est faute de mode de garde à un coût supportable. ( Lire Un plan d’investissement pour protéger nos enfants)

Ce qui est surtout le cas des femmes aux revenus modestes. 

Celles-ci ont accepté de prendre parfois le congé parental, avec une prestation (la Prepare) de 428 euros par mois, avec un risque de tomber dans la pauvreté et la précarité. 

La réforme annoncée du « congé de naissance » devrait offrir un congé mieux rémunéré (mais à quel montant ?) et réellement partagé entre les parents, mais pour une durée très courte (on évoque 6 mois au total par enfant…).  

Cette pénalité joue à long terme sur les revenus des femmes : selon l’Ined, « l’arrivée du premier enfant entraîne une chute relative du revenu salarial total de 40 % l’année zéro (cette chute inclut le temps passé en congé de maternité), et ensuite une pénalité durable de la rémunération annuelle totale de l’ordre de 30 % ». 

Sans parler des heures de travail domestique et familial qui explosent pour les mères (+ 5 heures) et baissent pour les pères (-2 heures). Et plus ils et elles ont d’enfants, et plus l’écart se creuse, les pères acceptant (ou choisissant) davantage d’heures supplémentaires au fur et à mesure que le ménage s’agrandit… 

On peut ainsi comprendre que pour de nombreuses femmes, ce coût de la maternité, qui s’ajoute à ce contexte anxiogène, ne les incite pas à avoir des enfants, ou peut-être qu’un seul ? Mais qu’en est-il des pères ?