Le contexte de la contribution
Après la conférence sociale sur les salaires du 16 octobre 2023, le gouvernement a confié aux économistes A.Bozio et E.Wasmer, une mission relative à “l’articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d’activité et son effet sur l’emploi, le niveau de vie et l’activité économique”.
Lors de la conférence sociale, la CGT a formulé des dizaines de propositions pour améliorer la situation des travailleur·ses qui ont toutes été balayées d’un revers de main par le gouvernement.
Pourtant la situation appelle des réponses rapides :
En deux ans, la part des salarié·es au SMIC a largement augmenté passant de 12 % en 2021 à 17,3 % en 2023, atteignant plus de 3 millions de salarié·es : c’est une augmentation de plus d’1 million de salarié·es au SMIC. Ce niveau de salaire n’est censé correspondre pourtant qu’au salaire minimum sans expérience ni qualifications ! Il n’est pas normal que des millions de salarié·es y soient scotché·es, sans revalorisation salariale.
Pourquoi une telle hausse du nombre de salarié·es au SMIC ?
Les exonérations de cotisations sociales incitent les entreprises à ne pas augmenter les salaires des travailleurs·ses situé·es juste au-dessus du SMIC. L’effet est amplifié par la prime de partage de la valeur (PPV) (elle aussi non cotisée) qui incite à ne pas augmenter les salaires, et par la prime d’activité (PA) qui dépend aussi du montant du salaire.
Le nombre de branches avec des minima sous le SMIC augmente :
Plus de 30 branches sur 170 étaient déjà dans ce cas en décembre 2023Ce sont des dizaines de branches qui ont à nouveau des minima inférieurs au SMIC en mars 2024 après la nouvelle hausse mécanique du SMIC mise en œuvre en janvier.
Or avec son discours sur la « désmicardisation », le Premier ministre cherche à remettre en cause le principe d’un salaire minimum national indexé sur l’inflation. Cette piste s’inscrit dans la droite ligne des rapports annuels du groupe d’expert·es sur le SMIC et conduira à encore plus de pauvreté des travailleurs·ses.
Indexé sur l’indice des prix à la consommation, le SMIC est efficace pour protéger le minimum salarial, même si celui-ci reste trop faible, et cela d’autant plus lorsqu’il y a un décrochage de niveau de vie pour les travailleur·ses aux salaires les plus faibles.
Le problème ce n’est pas le fait que le SMIC soit indexé sur les prix, c’est le fait que les autres salaires ne le soient pas.
Contre la « smicardisation » et les trappes à bas salaires, la CGT apporte un ensemble de propositions cohérentes pour vivre de son salaire, garantir le financement de la Sécurité sociale et mettre fin au gaspillage d’argent public sans effet ni sur les salaires ni sur l’emploi. La CGT a transmis, le 31 janvier 2024, sa contribution aux deux économistes. En voici une présentation succincte.
La CGT conteste ce que dit le gouvernement sur le partage des richesses
La CGT conteste la position défendue dans la lettre de cadrage du gouvernement selon laquelle « la part des salaires dans la valeur ajoutée est remontée depuis une quinzaine d’années, au niveau atteint au cours des Trente Glorieuses ». Cela est faux.
La part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté de 5 points depuis les années 1970 – 80.
La CGT conteste les affirmations selon lesquelles il serait établi que les politiques d’exonérations de cotisations sociales créent de l’emploi
La lettre de cadrage prétend que les politiques d’exonérations de cotisations sociales dites « patronales » ont permis de répondre à des objectifs de création d’emploi, de compétitivité et d’attractivité. Cela est contestable.
L’empilement de ces dispositifs depuis le début des années 1990 avait pour objectif de réduire le soi-disant « coût du travail », pour encourager l’embauche des travailleur·ses peu qualifié·es, d’une part, et pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises exposées à la concurrence internationale, d’autre part, en vue de redresser le commerce extérieur, de freiner la désindustrialisation, et de soutenir l’emploi.
Aujourd’hui les exonérations sont massives sur les bas salaires et ces exonérations persistent jusqu’à 3,5 SMIC. Le tableau ci-dessous en donne une vision claire pour des salaires entre 1 SMIC et 3,5 SMIC.
Tableau : Situations actuelles des niveaux de cotisations sociales au regard du niveau des salaires.
En s’appuyant sur la littérature économique et sur les rapports disponibles, la CGT rappelle l’absence d’efficacité, tant sur l’emploi que sur les rémunérations, des exonérations de cotisations sociales dites patronales sur les salaires entre 1,6 et 3,5 SMIC.
Par ailleurs, alors que la littérature économique considère que les politiques publiques doivent concentrer les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, c’est-à-dire sous le seuil de 1,6 SMIC, nous montrons que les travaux disponibles ne permettent pas non plus d’établir l’efficacité des dispositifs d’exonérations sur les bas salaires. En effet, les études économiques de référence sont désormais datées, voire font l’objet de remises en cause importantes en raison de nombreux problèmes théoriques et méthodologiques.
C’est pourquoi, la CGT a demandé dans sa contribution qu’Étienne Wasmer et Antoine Bozio réalisent des expertises fiables :
sur les effets de la suppression des exonérations de cotisations sociales à partir de 1,6 SMIC en distinguant les secteurs d’activité et les tailles d’entreprises, et en évaluant les gains pour les finances publiques de cette suppression ;sur l’efficacité des dispositifs d’exonérations entre 1 et 1,6 SMIC en termes de créations d’emploi.
La CGT affirme en revanche que les entreprises sont désormais addictes aux politiques d’exonérations de cotisations sociales
La CGT rappelle dans sa contribution qu’il faut mettre fin à l’addiction et à la dépendance des entreprises aux exonérations de cotisations sociales. Aujourd’hui les entreprises ne les utilisent que pour garantir des taux de marge importants principalement vers les groupes donneurs d’ordres, et par là même des profits. Or ces profits devraient être utilisés pour investir et répondre à la demande en recrutant des travailleur·ses et/ou en augmentant leur salaires. C’est même le contraire, moins l’entreprise paye ses salarié·es, plus elle reçoit d’aides publiques, l’augmentation vertigineuse du nombre de salarié·es au SMIC l’atteste.
C’est pourquoi, la CGT a demandé dans sa contribution qu’Étienne Wasmer et Antoine Bozio prennent en compte dans leur mission :
la financiarisation croissante de l’économie française, en particulier le rôle joué par le coût du capital ;la façon dont les exonérations de cotisations sociales peuvent être captées par les détenteurs du capital, notamment des groupes donneurs d’ordres réduisant par là même l’efficacité de ces politiques publiques en détournant les sommes en jeu de leurs objectifs initiaux, comme l’emploi ou l’investissement.
La CGT affirme que les effets des politiques d’exonérations de cotisations sociales sont graves sur les finances publiques
Les exonérations de cotisations sociales représenteront près de 88 milliards d’euros de manque à gagner pour l’Etat en 2024, qui doit les compenser auprès de la Sécurité sociale. Ce montant astronomique :
est supérieur aux dépenses de la « branche autonomie », de la branche famille et de la branche AT-MP cumulées ; représente le budget de l’Éducation nationale, deux fois celui de la Transition écologique, trois fois et demie celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou encore quatre fois et demie celui de la Santé et des solidarités !
Ces politiques privent la Sécurité sociale de près de 3 milliards d’euros non compensés par l’État selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale.
La CGT a demandé que l’impact des exonérations sur la dynamique de l’assiette des prélèvements obligatoires liés au financement de la Sécurité sociale soit étudié. Aujourd’hui, la compensation même très importante des exonérations de cotisations sociales ne garantit pas de recouvrer les gains potentiels liés à une dynamique de leur assiette, et cela d’autant plus en période d’inflation. En effet, la TVA (qui compense en grande partie les exonérations de cotisations sociales) n’a pas la même dynamique économique que les cotisations sociales.
Un tel chiffrage pourrait permettre de faire un choix public plus éclairé. Pourquoi ? Car il permettrait de prendre en compte le coût indu ou caché des mécanismes d’exonération de cotisations et du manque à gagner pour la Sécurité sociale.
La CGT affirme que les politiques menées par le gouvernement conduisent à jeter les salarié·es qui ont des petits salaires dans des « trappes à bas salaire »
La CGT a alerté sur l’effet de « trappe à bas salaire » induit par la structure des politiques sociales. Les salarié·es sont aujourd’hui coincé·es entre :
Le SMIC, seul outil protecteur contre l’inflation, qui est un plancher collant ;Les exonérations de cotisations sociales qui incitent les entreprises à ne pas augmenter les salaires pour continuer à profiter de ces exonérations ;Les primes de partage de la valeur, non cotisées, qui sont une aubaine pour les employeurs pour augmenter exceptionnellement la rémunération, sans augmenter le salaire ;La prime d’activité qui pallie partiellement les faibles niveaux de salaires.
La prime d’activité est un « impôt négatif ». Elle est financée par l’État, donc principalement par la TVA et l’impôt sur le revenu (plus de 60 % des recettes fiscales brutes du budget général). Perçue par les travailleur·ses entre 1 et 1,5 SMIC, la prime d’activité baisse rapidement avec l’augmentation du salaire. Le revenu disponible augmente donc faiblement sur cette tranche de salaire, plus faiblement que pour les tranches supérieures à 1,5 SMIC. Concrètement, en France, plus le salaire est élevé, plus l’augmentation de celui-ci aura un impact important sur le revenu disponible (salaire + allocations – impôts), plus le salaire est faible et moins une augmentation de salaire n’a d’impact sur le revenu disponible.
Il faut revenir sur ce problème que la CGT dénonce depuis toujours et remettre à plat les politiques sociales pour qu’elles ne puissent pas conduire au blocage des salaires des travailleur·ses. Certains employeurs font même du chantage à la prime d’activité pour justifier de ne pas augmenter les salaires. Ce n’est pas normal. Pour garantir un bon niveau de vie, les hausses de salaires sont donc préférables aux revenus de substitution (allocations).
La CGT a donc demandé à Étienne Wasmer et Antoine Bozio d’étudier des alternatives au système actuel :
La fixation du montant des exonérations de cotisations sociales sur une valeur nominale, c’est à dire en euros et non plus en pourcentage du SMIC. L’objectif étant le blocage de la fourchette des exonérations et la suppression à court et moyen terme, du fait de l’inflation, des exonérations en partant des plus inefficaces portant sur les plus gros salaires.L’indexation de la prime d’activité sur l’inflation à compter du 1er janvier 2024 pour permettre, du fait de hausses de salaires supérieures à l’inflation, la sortie du dispositif à moyen et long terme sans perte de revenu pour les salarié·es. L’objectif étant une sortie de la trappe à bas salaire par le haut.
Les positions défendues par la CGT dans sa contribution
Dans sa contribution, la CGT demande que les orientations politiques sur les salaires ne suivent pas les schémas habituels :
Il n’est pas possible d’avoir systématiquement recours à la participation, à l’intéressement ou la prime de partage de la valeur (PPV, dite « prime Macron ») plutôt qu’aux hausses de salaire ! La « prime Macron » qui est non soumise à cotisations sociales et non fiscalisée dans certaines situations pour les entreprises de moins de 50 salarié·es, ne peut pas prendre la place des augmentations de salaires. Il faut donc aussi que les entreprises et les salarié·es cotisent sur la participation, l’intéressement et la « prime Macron » comme sur le salaire. L’idée d’une modification des principes d’indexation du SMIC sur l’inflation serait un recul social sans précédent. Toute modification qui aurait un impact négatif sur le SMIC n’est pas acceptable pour la CGT.Il n’est pas possible que de nouvelles exonérations de cotisations sociales soient mises en œuvre.
Enfin, les demandes générales suivantes ont été formulées par la CGT :
Les politiques publiques doivent devenir bien plus transparentes qu’elles ne le sont aujourd’hui. En tant que salarié·es et citoyen·nes nous devons avoir accès à des données chiffrées et à des outils de simulation pour contrôler ces politiques d’exonérations de cotisations.Il faut supprimer immédiatement les exonérations de cotisations sociales au-dessus de 1,6 SMIC car il est établi qu’elles ne sont pas efficaces. Les entreprises doivent progressivement sortir de leur addiction aux exonérations de cotisations en dessous de 1,6 SMIC.Il faut que la rémunération des salarié·es repose avant tout sur les salaires pour limiter les effets délétères d’un système qui reposent sur des allocations, comme la prime d’activité, ou les primes non socialisées, pour compenser les faiblesses du revenu disponible. La CGT réaffirme la nécessité d’un meilleur partage de la valeur produite.Il faut renforcer la démocratie sociale et le pouvoir des travailleurs·ses dans les entreprises et au niveau des branches, en revenant sur les ordonnances travail et mettant en place de nouveaux droits.Il faut remettre en place l’échelle mobile des salaires (le retour à l’indexation de tous les salaires sur les prix) comme c’est le cas par exemple en Belgique. Le salaire net (hors cotisation sociale) c’est pour le mois, le salaire brut (socialisé) c’est pour la vie, en cas de chômage, de maladie ou pour nos retraites. Alors que les salaires réels ont reculé de plus de 2 %, nous revendiquons l’augmentation de tous les salaires, du point d’indice et un SMIC à 2000 € bruts comme pour les retraites.
Lors de son audition par Etienne Wasmer et Antoine Bozio la CGT portera également :
La nécessité d’évaluer la possibilité de faire surcotiser les entreprises notamment en fonction de la part des salaires dans les richesses produites. La nécessité d’évaluer la possibilité de faire surcotiser les entreprises qui abusent des temps partiel, pour que les cotisations sur les salaires dites patronales de ces salarié·es soient de même niveau que celles sur des salarié·es à temps plein.
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