Qu’est-ce qu’on appelle « Octobre rose » ?
Après la généralisation du dépistage organisé du cancer du sein en 2004, la mobilisation a porté la nécessité d’un temps fort de sensibilisation pour la prévention et le dépistage du cancer du sein.
C’est ainsi qu’est né en 2005 ce mois de mobilisation plus connu sous le nom d’« Octobre rose », pour inviter les femmes à participer au dépistage organisé du cancer du sein, qui permet de détecter des cancers à un stade précoce et augmente les chances de guérison (neuf cancers du sein sur dix). Le cancer du sein touche près d’une femme sur huit, c’est le cancer le plus fréquent chez les femmes (33 %) et il demeure le plus meurtrier.
La France détient d’ailleurs le plus triste record en la matière : notre pays a la plus grande incidence des cancers du sein au monde (source : Suzette Delaloge, cancérologue à l’institut Gustave-Roussy, citée dans un article du Monde en date du 25 septembre 2025).
En quoi consiste le dépistage organisé ?
Il s’adresse aux femmes de 50 à 74 ans. Tous les deux ans, les femmes concernées reçoivent une invitation à faire une mammographie (avec la liste des centres/cabinets de radiologie) : deux clichés par sein et un examen clinique (visuel et palpation), par un·e médecin radiologue puis une double lecture, dans un centre régional de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) par des radiologues sénologues spécialement formé·es à la deuxième lecture.
Le dépistage organisé est gratuit et pris en charge par l’assurance maladie… à l’exception des examens complémentaires !
Si 80 % des cancers du sein surviennent après 50 ans, pas question d’occulter la nécessité d’un dépistage précoce et notamment à partir de 40 ans. Et pas question d’abandonner après 74 ans.
La santé des femmes plus âgées ne peut être traitée à la légère ! Tout comme pour le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus qui s’arrête à 64 ans. Les femmes ont une vie, à tout âge, et elle compte.
Et pour répondre tout de suite à la question qui ne manque jamais d’arriver… Et les hommes ? Moins de 1 % des cancers du sein concernent les hommes et le cancer du sein représente moins de 1 % des cancers masculins. Le principal facteur de risque est d’ordre génétique.
Les Comités féminins pour la prévention et le dépistage des cancers : les usagères s’adressent aux usagères
La Fédération des Comités féminins pour la prévention et le dépistage des cancers est une association de terrain, de proximité, uniquement composée de bénévoles, non professionnelles de santé, des militantes engagées venant de tous horizons, des usagères de la santé qui s’adressent à d’autres usager·es de la santé et qui interviennent auprès de tous les publics, toute l’année. Autrement dit, des femmes qui s’adressent à d’autres femmes et qui sont en responsabilité dans leur association.
La Fédération est née en 2000 et dès 2001 elle a participé à des groupes de travail sur le dépistage du cancer du sein puis sur le dépistage du cancer colorectal et du cancer du col de l’utérus. Elle a fortement contribué en 2005 à la création du mois de sensibilisation dit « Octobre rose » pour la prévention et le dépistage du cancer du sein. Parce qu’une politique de santé publique de dépistage organisé doit être entièrement gratuite, sans aucun reste à charge ! Vingt ans plus tard, il reste encore tant à faire.
Le rôle des Comités féminins c’est aussi d’interpeller les pouvoirs publics et les professionnel·les de santé sur les nombreuses difficultés rencontrées par la population, des difficultés qui sont la conséquence des politiques de casse du service public de santé. La santé est un droit, pas un privilège.
➡️ Contact : federation@comitesdepistagecancers.fr
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Est-ce qu’il y a matière à se satisfaire de cette politique de prévention ?
Bonne question ! La réalité, c’est que 44 % seulement des femmes concernées en 2024 y ont participé, contre 48,6 % en 2023, avec une tendance à la baisse dans toutes les classes d’âge. On est très loin des 70 % recommandés pour faire baisser la mortalité ! Et on constate des disparités importantes selon les départements. En 2023, les plus fortes participations sont observées en Bourgogne-Franche-Comté, Normandie et Bretagne (54 %) ; les taux de participation régionaux les plus bas sont observés en Guyane (15,7 %), Corse (30,4 %) et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (36,2 %).
S’il est essentiel de rappeler que le dépistage est une chance et qu’il est important d’y participer, les difficultés d’accès sont nombreuses et le renoncement aux soins une réalité et plus particulièrement chez les femmes, qui constituent la majorité des personnes en situation de précarité.
Le Haut-Conseil à l’égalité (HCE), dans son rapport « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité » (2017), indique que « les femmes en situation de précarité ont un moindre suivi gynécologique : […] elles ont moins souvent recours aux dépistages du cancer du sein et du col de l’utérus que l’ensemble des femmes. Parce qu’elles traversent une situation de précarité, ces femmes connaissent une santé dégradée et un moindre accès aux soins : selon une étude de juin 2016, les femmes représentent 64 % des personnes ayant reporté ou renoncé à des soins au cours des douze derniers mois. »
Tu insistes sur le renoncement aux soins, peux-tu préciser ?
Quelques chiffres montrent l’ampleur du phénomène et la gravité de la situation : 65 % des Français·es déclarent avoir dû renoncer à des soins au cours des douze derniers mois ; 43 % des habitant·es des zones rurales ont des difficultés à consulter un·e médecin (d’après « Le carnet de santé de la France 2025 » publié par la Mutualité française en septembre).
11 % de la population n’a pas de médecin (soit 6 millions de personnes) et 87 % du territoire est classé en désert médical ! Les 25 % de généralistes installé·es dans les 13 % de l’Hexagone les mieux dotés suivent moins de 500 patient·es, alors que celles et ceux qui exercent dans des déserts médicaux en ont 2 500 chacun·e (d’après L’Humanité magazine en mai 2025). Et pour certaines spécialités, trouver des médecins en secteur 1 devient de plus en plus difficile, creusant un peu plus encore les inégalités de santé et les disparités territoriales.
La réalité, ce sont aussi des délais de plus en plus longs pour un rendez-vous de mammographie de dépistage – jusqu’à un an – et des femmes qui renoncent après avoir appelé plusieurs cabinets de radiologie.
La difficulté tient aussi au manque de cabinets de radiologie : fermetures, regroupement, retraite, manque de médecins radiologues, déconsidération et donc parfois arrêt de l’activité de sénologie, spécialité peu prisée s’il en est… On observe également des cabinets de radiologie rachetés par des groupes financiers, à l’instar de ce qui s’est produit avec l’analyse médicale, groupes qui privilégient les examens lucratifs au détriment de la santé publique et parfois même sans médecin radiologue sur place ! Impossible d’y faire une mammographie de dépistage.
À noter aussi : le manque de transports qui ne permet pas de se déplacer et qui conduit aujourd’hui à mettre en place localement des dispositifs de transport ou encore à réfléchir à différents types de dispositifs mobiles pour aller au-devant des populations.
Enfin, près de 3 millions de personnes (5 % de la population) n’ont pas de complémentaire santé et parmi les 800 000 retraité·es qui n’en ont pas, plus de la moitié sont des femmes. Quand un examen complémentaire comme l’échographie n’est pas pris en charge et qu’il faut faire face à des dépassements d’honoraires (parfois 30 euros pour une échographie), la santé devient un luxe ! Et des femmes y renoncent.
Que faire alors ?
Les examens complémentaires liés à la mammographie de dépistage doivent être pris en charge sans reste à charge et sans dépassements d’honoraires ! Une politique publique de dépistage organisé doit être entièrement gratuite.
Et les politiques de prévention ?
La prévention met l’accent sur les facteurs de risque (tabac, alcool, sédentarité, alimentation, addictions…), c’est-à-dire des comportements individuels, mais elle occulte la pauvreté (10 millions de personnes), les causes environnementales (pollution, pesticides, polluants éternels, etc.). La loi Duplomb est l’exemple même du mépris de la santé des femmes et des hommes, du mépris plus globalement pour le vivant. Or personne ne peut ignorer les impacts majeurs sur la santé.
Derrière des comportements individuels, il y a des vies, des histoires, des parcours. On ne peut renvoyer les personnes à leur mode de vie sans interroger leur vécu, leur réalité. Et la frontière est mince entre prévenir et tenir pour responsable.
Qu’en est-il de la santé des femmes au travail ?
Les conditions de travail, l’organisation du travail, la nature des emplois ont un impact sur la santé. Les cancers professionnels sont une réalité y compris pour les femmes. Travail de nuit, horaires décalés, exposition à des produits cancérogènes, pressurisation, exposition aux rayonnements ionisants… Il est établi que les horaires de nuit augmentent de 26 % les risques de cancer du sein et pourtant, le cancer du sein n’est pas inscrit dans le tableau des maladies professionnelles du Code de la Sécurité sociale. Il serait trop compliqué de faire le lien entre travail et cancer du sein, alors que pour les cancers de la prostate, non, ils sont dans le tableau ! Cherchez l’erreur…
Sexiste le tableau de reconnaissances des maladies professionnelles ? Oui, sans aucun doute. Tant que l’androcentrisme de la société et de la médecine persistera, les femmes seront mal soignées, mal prises en charge, et leurs maladies professionnelles ignorées – voire niées.
Santé publique France estime à 7 % la part des cancers attribuable au travail en France en 2017 pour les hommes, contre 1,9 % chez les femmes. Et l’enquête Sumer suggère que neuf personnes sur dix exposées à des cancérogènes seraient des hommes.
« Les expositions cancérogènes subies par les femmes sont frappées d’une invisibilité supplémentaire. Nos recherches montrent que les expositions aux cancérogènes dans les métiers à prédominance féminine sont particulièrement méconnues, comme dans les activités de nettoyage ou d’aide à la personne […]. L’étude de la composition des produits de ménage grand public montre la présence de sept cancérogènes dans des produits à usage courant. Même si ce ne sont pas toujours des expositions fortes, elles sont continues et très fréquentes » (Moritz Hunsmann, chercheur au CNRS).
À ce jour, seuls sept cancers du sein ont été reconnus en maladie professionnelle (six femmes, un homme) : il est temps que cela change !
Et la CGT dans tout ça, que porte-t-elle pour améliorer la santé des femmes au travail ?
En matière de santé au travail, il y a énormément à faire – c’est peu de le dire. On part de tellement loin !
D’abord et avant tout, il faut déjà parler de LA santé des FEMMES ! Il ne s’agit pas d’opposer les femmes aux hommes mais de prendre en considération la santé des femmes. La santé des femmes salariées, privées d’emploi, retraitées n’est pas une option, ni un sujet mineur qui ne mériterait pas que l’on s’y attarde.
À l’évidence, la santé est un champ légitime d’intervention des organisations syndicales et des instances de représentation des salarié·es. Si on ne s’en préoccupe pas, qui le fera ?
Une foultitude de solutions existe ; elles doivent être mises en œuvre de façon simultanée et proportionnée, à tous les niveaux :
- faire appliquer par les employeurs l’obligation légale de construire un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) qui soit genré, c’est-à-dire qui mette en œuvre une approche différenciée de l’évaluation des risques professionnels femmes-hommes ;
- former tou·tes les acteur·ices de la prévention à une approche genrée ;
- adapter les mesures de prévention aux conditions de travail des femmes en les élaborant avec les premières concernées ;
- collecter des données genrées dans le bilan annuel sur le nombre de salarié·es en arrêt de travail pour un cancer, élément essentiel pour mettre en place des politiques de prévention, d’amélioration des conditions de travail ;
- élaborer une stratégie nationale pour la santé des femmes, incluant un volet « santé au travail » reconnaissant le rôle pivot de la médecine du travail, y compris pour les privé·es d’emploi ;
- renforcer les moyens humains dédiés à la prévention et au contrôle (médecine et inspection du travail) et les former spécifiquement à la santé des femmes ;
- faire de la médecine du travail un levier essentiel pour améliorer la santé des femmes en situation de précarité au travail et des privé·es d’emploi ;
- revoir la liste des critères de pénibilité pour :
- modifier les seuils des critères existants (exemple : port de charges lourdes ou exposition au bruit),
- en créer de nouveaux pour prendre en compte les conditions de travail des femmes (exemple : considérer les produits ménagers comme des « agents chimiques dangereux »),
- intégrer de nouveaux facteurs de pénibilité propres aux emplois occupés majoritairement par des femmes (exemple : l’exposition aux risques biologiques) ;
- reconnaître comme maladies professionnelles les cancers du sein (en lien avec le travail de nuit notamment) et les cancers des ovaires (exposition à l’amiante en particulier) ;
- prendre en compte de façon générale l’impact du travail sur la santé des femmes à la retraite ;
- favoriser la reprise du travail dans les meilleures conditions : temps partiel thérapeutique sans perte de rémunération, adaptation des postes de travail et des conditions de travail, respect des conditions de reprise sans culpabilisation, remise à niveau professionnel si nécessaire, dans les meilleures conditions (temps, matériel, accompagnement) ;
- instaurer une journée de dépistage prise en charge par les employeurs comme dans les pays nordiques (Danemark, Suède, Finlande, Norvège) où le dépistage est réalisable sur le temps de travail. Ces pays atteignent un taux de dépistage de 80 % !
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C’est peut-être un détail pour vous… Suppression de la deuxième lecture : attention danger !
La suppression de la deuxième lecture, dans les centres régionaux de coordination des dépistages des canscers (CRCDC), revient régulièrement sur le tapis, non pas parce qu’elle serait inefficace – 5 % des cancers détectés dans le cadre du dépistage le sont grâce à la deuxième lecture, ça en fait des vies ! – mais bien pour faire des économies. Là encore, la plus grande vigilance s’impose.
Et si, pour atteindre l’objectif de 70 %, on additionnait le dépistage organisé et le dépistage individuel ? C’est la petite musique entendue çà et là. Or ce sont deux examens différents : il n’y pas de deuxième lecture dans le dépistage individuel, un reste-à-charge d’environ 30 % et de fréquents dépassements d’honoraires, sans compter de fortes disparités territoriales (en Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Corse, on a 37 % de dépistages individuels contre 7 % en Bretagne).
Gommons ainsi les inégalités d’accès ! Masquons les politiques destructrices de casse du service public de santé. Masquons les manques de moyens ! Vous avez dit politique de dépistage, vous avez dit politique de santé publique ?
Quatre-vingts ans après la création de la Sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance, plus que jamais il est impératif de « cotiser selon ses moyens et recevoir selon ses besoins » !
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