“Après ces interventions théoriques passionnantes, je m’excuse par avance de revenir à la dure réalité.
Les millions de travailleuses et de travailleurs qui se sont mobilisés pendant 6 mois contre la réforme des retraites attendent toujours son abrogation.
Il ne s’agit ni d’un totem, ni d’une lubie.
Ses effets sont très concrets et se font d’ores et déjà sentir. On nous impose de travailler plus tard et dans le même temps, ce sont des dizaines de milliers de seniors licenciés à tour de bras qui se retrouvent sans emploi ni retraite. Ce sont des millions de travailleurs et de travailleuses qui occupent des emplois intenables passés 55 ans, voire 50 ans. Ce sont des millions de femmes qui doivent attendre 67 ans pour partir avec une retraite incomplète. Car oui. Contrairement aux caricatures, l’âge légal de départ à la retraite des salariés français est proche de celui des pays de l’OCDE. Là où nous avons toujours le bonnet d’âne c’est en matière d’emploi des seniors et de conditions de travail. Et le problème, c’est qu’au lieu de s’attaquer à ces fléaux, on reporte, toujours plus loin, l’âge de départ en retraite. Résultat : le chômage des seniors, les inaptitudes et les arrêts maladie explosent.
Si une majorité de françaises et de français sont toujours favorables à la retraite à 60 ans, c’est bien parce qu’aujourd’hui, de fait, près de la moitié des salariés ne sont déjà plus en emploi à 60 ans. Et je ne parle pas de toutes celles et ceux qui meurent avant : 3 morts au travail chaque jour, un chiffre en augmentation depuis la suppression des CHSCT. Monsieur Senart a conclu son propos ce matin par un appel à la responsabilité. Messieurs les patrons présents ou absents, j’espère que vous avez bien entendu l’appel.
Le décalage de l’application de la réforme confirme qu’abroger la réforme des retraites est possible.
Alors qu’on nous promettait faillite et panique financière, les places boursières ont réagi à la hausse. Reste à définir le financement nécessaire et c’est pour nous un des objectifs de cette conférence. Les pistes de financement ne manquent pas, la CGT a déjà fait de très nombreuses propositions, nous aurons donc l’embarras du choix.
Car oui, messieurs les patrons, si comme vous l’avez dit ce matin, vous souhaitez un dialogue apaisé, il faut commencer par ranger la tronçonneuse et par reconnaitre que c’est NOTRE travail qui crée les richesses, et que le problème c’est qu’une part de plus en plus importante de ces richesses est captée pour financer le capital.
Reste aussi à enfin mettre en place un vrai système de départ anticipé pour pénibilité. Et le point positif, M. Farandou, c’est que vous avez une excellente expérience en la matière. L’accord gagné par la CGT à la SNCF est une très bonne base : 3 ans de départ anticipé pour les métiers pénibles, allégement des fins de carrière avec la possibilité de faire les 18 derniers mois à mi-temps payé 80 %, droit à reconversion à mi-carrière pour tous les métiers pénibles… Maintenant que vous êtes ministre, nous comptons sur vous pour étendre ces avancées à tous les travailleurs et travailleuses !
Reste enfin à ouvrir un horizon pour les jeunes générations, qui, à force de discours anxiogènes et de réformes régressives doutent de leur possibilité de bénéficier d’une retraite. L’élévation du niveau de qualification est un point d’appui pour notre économie, il est temps de permettre la validation des années d’études dans le calcul de la retraite !
Cette conférence doit permettre d’éclairer le débat public et de dépasser les faux débats. J’en citerai trois :
1/
Les projections le montrent. Comme l’a rappelé à de multiples reprises le COR, et je cite Pierre-Louis Bras : malgré l’augmentation du nombre de retraité·es, les dépenses de retraite sont maitrisées et diminuent même plutôt à terme. Pourquoi ? Parce que du fait des multiples réformes depuis 1993, le niveau des pensions va baisser. Prétendre mettre à contribution les retraité·es serait donc aussi injuste que dangereux. Il faut augmenter, légèrement, le financement que nous consacrons à nos retraites.
C’est un choix de société : c’est celui de la retraite par répartition ET à prestation définie.
Soit nous le faisons collectivement, soit celles et ceux qui en auront les moyens épargneront pour tenter d’éviter une chute de niveau de vie pour leurs vieux jours. Pas question de balayer ce débat en agitant le taux de prélèvement obligatoire. D’abord parce que le chiffrage est discutable : dans les pays où les retraites fonctionnent par capitalisation, les cotisations ne comptent pas comme prélèvements obligatoires.
Par ailleurs au XXe siècle, l’histoire du progrès social est allée de pair avec une hausse de la socialisation et donc des prélèvements obligatoires.
À qui veut-on faire croire, alors que les risques sociaux et environnementaux, les besoins d’éducation, de transition augmentent, que le progrès viendrait au contraire d’une baisse de l’intervention publique ? Pour faire place à quoi ? À davantage, encore de marchandisation ?
Messieurs les patrons, quand on se revendique de la modernité, on ne recycle pas des propositions du 19e siècle.
2/
Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la capitalisation, l’épargne retraite, ne résout absolument pas le problème de financement de notre système de retraite. Elle coûte cher aux salariés et aux finances publiques – plus d’un milliard de manque à gagner pour nos impôts du fait des niches fiscales. C’est ce qu’expérimentent les fonctionnaires à qui on a imposé en 2003 un régime de retraite complémentaire par capitalisation, le RAFP. Résultat, il faut au moins 26 ans à un fonctionnaire pour « récupérer » son épargne alors que leur espérance de vie à la retraite est de 24 ans ! Et c’est sans compter les risques liés aux crises financières et à l’instabilité des marchés !
Il faut dire les choses clairement, le seul argument en faveur de la capitalisation c’est d’ouvrir un marché pour les banquiers et les assureurs.
3/
Enfin, on entend de plus en plus que la question centrale serait de donner à chacun et chacune la liberté de partir à la retraite quand il le souhaite. Mais de quelle retraite parlons-nous ? Une retraite à minima, d’un montant faible, qui ne permet pas de maintenir un niveau de vie proche de celui de la vie active ? Comme syndicalistes, nous savons que la liberté n’est réelle que si elle se fonde sur un droit réel.
En l’occurrence, ce que nous voulons mettre à l’ordre du jour, c’est le droit à la retraite à 60 ans comme véritable salaire continué, un droit au bonheur et au temps libéré, qui après une carrière dans l’emploi, nous garantit, pour longtemps, le plus longtemps possible, une Sécurité sociale qui permet de s’occuper de soi, des autres, d’avoir des loisirs, de participer à la vie sociale, collective, voire oui aussi de faire du syndicalisme.
Alors reste à acter la méthode : nous ne sommes pas dans un cadre de négociation, il ne s’agit pas de sortir avec un accord, global ou partiel, mais avec un relevé de discussion reprenant les points d’accord comme de désaccord et l’ensemble des options qui sont sur la table. Et le CESE est le lieu parfait car c’est cette méthode qui est utilisée au quotidien.
Cette conférence sera utile si elle débouche sur des changements concrets. Si les candidats et candidates aux élections présidentielles veulent y piocher, ce sera avec plaisir. Mais cela ne peut pas être notre unique objectif.
La CGT propose donc qu’à l’issue de la conférence, les organisations syndicales puissent proposer un sujet de référendum.
Car si les retraites, l’emploi et le travail sont des sujets centraux pour les françaises et les français, on ne peut pas dire que c’est l’élection présidentielle qui permettra de trancher sur ces questions tant les enjeux sont larges.
Souvenons-nous. Pourquoi sommes-nous aujourd’hui dans une profonde crise politique ? Parce qu’un Président de la République a fait mine de croire que son élection en 2022 avait validé son projet de réforme des retraites alors qu’il s’agissait d’un barrage républicain. Évitons de reproduire cette erreur en 2027 et permettons enfin, aux françaises et aux français, de trancher clairement sur cette question qui les intéresse tant.
Monsieur le Ministre, nous fêtons cette année les 80 ans de la Sécurité sociale et de nos retraites par répartition.
Monsieur le Ministre du Travail et de la Sécurité sociale, quand on occupe le fauteuil d’Ambroise Croizat on ne peut pas être « agnostique » sur le sujet.
Nous avons besoin de vous entendre défendre nos retraites par répartition, ce trésor national qui nous a permis de traverser toutes les crises, en 2008, en 2020, ce monument que les travailleurs et travailleuses du monde entier nous envient.
Construit grâce à la clairvoyance des résistant·es dans un pays ruiné, la Sécurité sociale n’aurait jamais existé si les arguments gestionnaires dominaient, comme trop souvent aujourd’hui. Donnons-lui enfin les moyens de fonctionner car c’est notre meilleur atout face aux défis inédits auxquels nous sommes confrontés.