Le 2 avril, Donald Trump a annoncé la mise en place de tarifs douaniers à l’encontre de tous les partenaires commerciaux des États-Unis, pour un montant de 10 à 49 %. Une pause de quatre-vingt-dix jours a par la suite été décrétée suite au tollé provoqué par ces annonces, sauf pour la Chine dont la réplique a abouti à des droits de douanes de 145 % pour ses exportations vers les États-Unis.
Malgré la pause, les autres partenaires commerciaux des États-Unis se voient tout de même appliquer un tarif de base de 10 %, et 25 % sur l’acier, l’aluminium et l’automobile.
À ces tarifs s’ajoutent une stratégie de dépréciation du dollar, visant à rendre les produits états-uniens moins chers à l’étranger et les produits étrangers plus chers aux États-Unis.
Par ces mesures, l’administration Trump poursuit plusieurs objectifs :
- faire en sorte que les ménages privilégient la production nationale
- inciter les entreprises étrangères à s’installer aux États-Unis ;
- faire pression sur les partenaires commerciaux pour supprimer des tarifs douaniers, affaiblir certaines règlementations (normes environnementales, mesures fiscales…) défavorables à l’exportation états-unienne, ou encore pour négocier des accords sur la devise et obtenir une dévaluation plus forte du dollar ;
- financer la poursuite de la politique de baisse d’impôts engagée lors du premier mandat de Trump en 2017.
Une stratégie dangereuse et source d’inégalité
Cette guerre commerciale est en réalité au mieux contre-productive, au pire néfaste pour les États-Unis :
- elle va relancer l’inflation du fait de l’augmentation des prix des biens importés ;
- l’inflation va progressivement se diffuser à l’ensemble de l’économie : nombre des matériaux nécessaires à la production de biens états-uniens sont importés, donc le coût de production sera plus important et va se répercuter sur le prix de vente ;
- à rebours de l’objectif affiché par Trump, sa stratégie pourrait pousser des entreprises à délocaliser leur production dans des pays où les salaires, les droits sociaux et les normes environnementales seraient encore plus faibles ;
- reconstituer et renforcer le tissu industriel nécessite du temps, des investissements importants et une main-d’œuvre dont ne disposent pas les États-Unis. Les mesures prise par Trump ne produiront pas à court terme une hausse de la production (qui a même diminué depuis son élection) ;
- les mesures fiscales étant proportionnelles, elles bénéficieront avant tout aux ménages les plus aisés, augmentant de fait les inégalités – d’autant plus que les ménages modestes seront plus durement touchés par les conséquences de l’inflation.
La guerre commerciale aura par ailleurs un impact sur le monde entier. La plupart des produits que nous utilisons étant le fruit d’un long parcours international, leur production repose sur une logistique fragile de flux tendu. L’augmentation brutale des droits de douane en Chine et aux États-Unis bloquera les flux commerciaux, allongeant les délais, faisant grimper les prix et poussant les entreprises à chercher en urgence de nouveau fournisseurs – souvent plus chers et moins fiables.
Les conséquences sont immédiates et peuvent être durables : retards, pénuries, arrêts temporaires de production dans des secteurs comme l’automobile, l’électronique ou la pharmacie… Et sur le terrain, ce sont les travailleur·ses qui trinquent : gel des embauches, intérimaires non renouvelé·es, usine à l’arrêt, chômage partiel, dégradation des indicateurs de santé, licenciements…
En situation de crise, les chaînes de productions mondiales pensées pour le profit deviennent des facteurs de précarité sociale et industrielle.
La France en première ligne
Du fait de sa structure industrielle, la France serait particulièrement vulnérable aux conséquences de la guerre économique en cours :
- 30 % de son industrie est destinée à l’exportation, avec une demande interne fragile ;
- l’aéronautique, l’automobile, le luxe et la chimie représentent 60 % des exportations françaises et sont très sensibles aux aléas économiques mondiaux et aux incertitudes géopolitiques ;
- son tissu de PME exportatrices est beaucoup plus limité que d’autres pays comme l’Allemagne, ce qui limite ses capacités d’adaptation en période de crise.
Par ailleurs, les États-Unis sont l’un des principaux marchés d’exportation de la France :
- 58,2 milliards de dollars d’exportation de biens en 2023, notamment dans trois grands secteurs (équipements de transport, produits chimiques et produits agricoles haut de gamme) très sensibles aux prix ;
- 26,7 milliards de dollars d’exportation de services, notamment dans le transport, les services financiers, la propriété intellectuelle, le tourisme et les voyages – secteurs étroitement liés aux échanges de biens et à la mobilité entre les deux pays ;
- 472 milliards de dollars d’investissements croisés, qui pourraient ralentir ou diminuer si les relations commerciales se dégradent, affectant directement l’emploi industriel dans les deux pays :
- 741 000 emplois états-uniens dépendent des filiales françaises aux États-Unis,
- 485 000 emplois français dépendent des entreprises états-uniennes en France,
- 171 000 emplois états-uniens sont soutenus par les exportations vers la France.
Le choc économique frapperait des territoires entiers, les secteurs exportateurs étant fortement concentrés dans certaines régions :
- l’aéronautique en Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Île-de-France et Centre-Val-de-Loire ;
- la chimie et la pharmacie en Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est et Hauts-de-France ;
- l’agroalimentaire haut de gamme (vin, fromage…) et Bourgogne-Franche-Comté et Nouvelle-Aquitaine.
Répondre à la mondialisation en crise est urgent
La guerre commerciale actuelle n’est pas un simple accident conjoncturel, mais le symptôme d’une crise plus profonde : celle d’un modèle de mondialisation bâti sur des chaînes de valeur fragmentées, instables et dépendantes, et piloté par des logiques capitalistes qui, au nom de la rentabilité immédiate, font peser sur les salarié·es les effets d’un désordre qu’elles ont elles-mêmes provoqué — hausses de prix, suppressions de postes, délocalisations accélérées.
Face à cette crise systémique, la réponse ne peut être ni l’ajustement à la marge, ni l’attente d’un « retour à la normale ». Cela implique de reconstruire des outils de planification industrielle, de renforcer les droits des travailleur·ses, de défendre la relocalisation sous contrôle public et social, et de repolitiser les choix économiques aujourd’hui laissés aux mains des grandes firmes transnationales.
Une politique commerciale européenne plus protectrice est nécessaire, accompagnée d’une réindustrialisation urgente répondant à quatre impératifs essentiels : démocratiser l’économie, sortir de la logique financiarisée, diversifier et décarboner les productions.
Autour de ces impératifs, la CGT propose 16 mesures d’urgence :
- Un dispositif de gestion de crise ;
- Une réforme des tribunaux de commerce ;
- Un moratoire sur les licenciements (intégrant la loi Florange) ;
- Un cadre strict de conditionnement des aides publiques ;
- La mise en place d’un juste prix de l’énergie ;
- Une mobilisation de la commande publique comme outil anti-dumping social ;
- La création d’un index du « made in France » pour la politique d’achat des entreprises ;
- Une reprise en main sur le numérique ;
- L’urgence d’une nationalisation du secteur de l’acier ;
- La création d’un Pôle financier public ;
- Une réorientation des banques, de la politique monétaire et de l’épargne vers le financement de l’économie locale et décarbonée ;
- Un choc d’harmonisation sociale, fiscale et environnementale en Europe ;
- Le remplacement du libre-échange par la coopération entre les peuples et un juste-échange ;
- La constitution d’un Pôle national public de défense ;
- La légifération en matière de relations donneurs d’ordre/sous-traitants ;
- La mise en place d’une planification environnementale et industrielle.
Retrouvez l’intégralité de notre analyse dans la Note éco n° 166 : « Trump relance la guerre commerciale : quelles conséquences pour l’emploi, les droits sociaux, l’industrie et l’environnement ? » sur analyses-propositions.cgt.fr.