[Tribune] Recensement Insee : une question dangereuse sur le pays de naissance de vos parents

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Nos organisations, syndicats comme associations, vous encouragent à répondre au recensement de la population. Le recensement est un bien public et y participer est un acte civique. Grâce à ses chiffres, une image fidèle de la population et de sa répartition locale permet une connaissance fine, nécessaire notamment à la gestion des services publics et à l’aménagement du territoire, même si nous savons combien ils sont malmenés par les politiques en vigueur.

Ceci clairement dit, nous vous appelons à ne pas répondre à une nouvelle question introduite cette année sur le pays de naissance de vos parents. Nous le faisons après que certaines de nos organisations aient plaidé auprès de l’Insee et de la Commission Nationale Informatique et Libertés pour que cette question ne soit pas ajoutée dans le bulletin du recensement. Nous le faisons car aucune politique publique ne justifie que l’origine immigrée de nos parents soit collectée dans notre bulletin individuel. Cette question présente beaucoup de dangers.

Alors que la réponse à toutes les questions du recensement est toujours obligatoire, ce n’est pas le cas pour cette nouvelle question. Vous verrez clairement indiqué dans le questionnaire Internet et dans la version papier que répondre à cette nouvelle question est « facultatif ».
Il n’y a donc aucune obligation d’y répondre. Avec cette mention l’Insee vous prévient pour que vous décidiez quoi faire. Selon nos organisations, votre décision doit s’inscrire dans un mouvement général de refus.

Dans les communes de moins de 10 000 habitants toutes les personnes sont interrogées tous les cinq ans, et près de la moitié le sont dans les plus grandes. A un moment où un autre, tout le monde doit répondre au recensement. Ainsi, au bout du compte, bien peu de personnes échapperont à l’enregistrement et à la conservation de l’origine immigrée de leurs parents.

L’enregistrement de cette information est un pas vers une possible inégalité de traitement par l’État sur cette base. Les déclarations du président du RN indiquant que « des personnes d’origine étrangère, qui travaillent, qui ne font rien de mal, n’ont rien à craindre de son parti » disent clairement que ce serait un critère dans ses politiques d’extrême-droite.

Comme pour les fichiers administratifs, qui ne doivent contenir que les informations indispensables à la gestion des services qu’ils rendent, nous ne voulons pas que le recensement ajoute aux informations concernant notre identité (genre, âge, lieu de naissance, nationalité) des informations sur l’identité de nos parents.

Il ne faut pas qu’une information sur l’origine immigrée de chacune, de chacun, puisse être suivie au travers des générations successives.

Disons-le aussi clairement : nos organisations souhaitent que de bons chiffres soient produits avec tout le sérieux de la statistique publique pour montrer les inégalités qui résultent des discriminations pratiquées en lien avec une origine étrangère, une couleur de peau, une religion supposée. Le recensement de la population n’est pas l’instrument adapté, ce n’est pas son objet.

Pour cela, nous appuyons le développement d’enquêtes approfondies, menées auprès d’échantillons représentatifs de la population. Des progrès considérables ont été faits depuis vingt ans pour apporter cette connaissance. Ce travail statistique doit se poursuivre et s’amplifier. Nos organisations engagées dans la lutte contre le racisme et les discriminations portent aussi des propositions pour cela.

Au recensement, la question sur le lieu de naissance de vos parents nés à l’étranger est facultative. Nombreux seront celles et ceux qui, spontanément, décideront de ne pas y répondre. 

Nous vous incitons à faire de même pour que, par leur nombre, les refus de répondre envoient un message fort de refus d’être mis dans des cases liées à l’origine géographique, à la couleur de peau, à une religion présumée.

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Argumentaire

La LDH, la CGT, Solidaires, le Mrap, la FSU appellent les personnes recensées à ne pas répondre à la question facultative sur le pays de naissance de leurs parents nés à l’étranger
Ci-dessous des arguments qui ont pu contribuer à leur prise de position commune.

Recensement de la population
Demander de déclarer le pays de naissance de nos parents est dangereux, inutile, inacceptable.
Ne répondons pas à cette question qui n’est pas obligatoire !

 

Une question dangereuse !

Parce que c’est offrir une base pour des politiques qui divisent et discriminent. 

Le premier rôle du recensement est d’établir les chiffres de la population des collectivités territoriales et de compter sur tout le territoire les groupes qui sont importants pour les politiques publiques. La question sur le pays de naissance des parents fera qu’on va compter séparément, d’une part, les personnes dont les parents sont nés en France et, d’autre part, ceux dont les parents sont nés ailleurs. Cette question est un pas pour traiter différemment dans les politiques publiques ceux que certains appellent les « français de souche » et tous les autres qu’ils excluent de leur « préférence nationale », comme ceux qu’ils qualifient de « français de papier », qui « remplaceraient » les premiers. Quoi qu’on soit à présent, devrions-nous être rattachés au passé familial avec ce critère, éternellement ?

Récemment une mairie d’extrême droite a demandé à l’Insee de lui fournir le nombre de personnes d’origine étrangère bénéficiant de son parc de logement (incluant donc les personnes dont les parents sont d’origine étrangère). Le recensement ne collecte pas encore l’information, mais demain, si elle existait, est-ce qu’on la lui donnerait ? Pendant la campagne des dernières législatives, le Président du Rassemblement national a affirmé qu’aucune personne ayant une origine immigrée ne serait maltraitée par son parti … à condition de travailler et de ne pas enfreindre la loi. Il faisait donc comprendre qu’il traiterait différemment les personnes selon l’origine des parents. Pour sa part, l’actuel ministre de l’Intérieur a fait des déclarations indiquant qu’il veut aussi aller vers des traitements différents. L’information sur le pays de naissance des parents, collectée auprès d’une part considérable de la population, doit être vue dans ce contexte.

Parce que c’est ouvrir la voie à l’ajout du lieu de naissance de nos parents dans les fichiers administratifs. 

Les catégories qu’utilise le recensement s’imposent ensuite dans tous les fichiers, tous les raisonnements. Les informations collectées par le recensement, dont le lieu de naissance de nos parents, pourront être croisées avec de nombreux fichiers administratifs : ceux de l’Education nationale, de la Justice, de France-Travail, de la Sécurité sociale, etc. Les outils techniques existent pour le faire et la loi le permet pour les services statistiques des ministères. Cette information sera intégrée dans les analyses des politiques publiques de leur ministère. Nous ne voulons pas que l’origine géographique de nos parents devienne une donnée de référence pour les politiques qui nous concernent. L’égalité des droits, ce doit être pour toutes et tous.

Parce qu’il y a un risque de non-confidentialité des questionnaires remplis sur papier.

Si beaucoup de personnes répondent directement sur l’internet, un grand nombre (notamment d’origine étrangère) continuent à répondre sur des questionnaires qui transitent par des mairies avant d’être transmis à l’Insee. Peut-on garantir de façon certaine que certains ne seront pas tentés de prendre connaissance en cours de route des informations sur nos origines ? 

Une question qui n’est pas utile pour mieux combattre les discriminations !

Parce que personne, même parmi ceux qui ont demandé que cette question soit posée, n’a dit pour quelles politiques ce serait nécessaire.

Qu’est-ce que ces comptages du lieu de naissance des parents permettraient de mieux faire, qu’on ne peut pas faire avec les statistiques déjà produites ? Rien n’est dit dans les documents déposés auprès de la Commission Nationale Informatique et Libertés. Aucune institution ayant demandé cette évolution n’a expliqué pourquoi le recensement collectera ainsi une information permettant de mieux combattre les discriminations. Quelles politiques publiques de lutte contre les discriminations réclament la collecte de cette information auprès de toute la population, dans tous les territoires ? La question reste sans réponse. Les risques sont connus, les bénéfices attendus ne le sont pas. 

Parce qu’il y a des méthodes plus pertinentes et mieux adaptées pour étudier les discriminations. 

Disposer de bonnes données statistiques est indispensable pour connaitre la situation des personnes d’origine étrangère et son évolution dans le temps, pour mesurer, génération après génération, la persistance de discriminations liées à leur origine, à leur couleur de peau, à leur religion présumée. Les enquêtes statistiques sont le bon instrument parce qu’elles collectent beaucoup d’informations dont l’origine sociale, l’origine géographique, les études faites, les professions exercées, les lieux d’habitation… Les enquêtes spécialisées comme l’enquête Trajectoires et Origines de l’Insee et l’Ined ont réussi à bien mesurer les inégalités liées aux discriminations liées aux migrations. Ce travail d’enquêtes se développe depuis une vingtaine d’années seulement et doit s’approfondir pour développer la connaissance solide déjà disponible. Fondamentalement, aujourd’hui, le principal problème n’est plus le manque de données statistiques mais la faiblesse des politiques publiques, la pauvreté de moyens consacrés pour répondre aux effets des discriminations.

Parce que les plus concernés ne sont pas associés à la discussion sur les données à collecter. 

Les chiffres nationaux disent clairement l’ampleur des inégalités dues aux discriminations. Maintenant, lorsqu’on veut mettre en place des politiques concrètes de terrain, les territoires qui avancent sont d’abord ceux où les élu.es, les administrations, les associations et syndicats, et bien évidemment les personnes concernées, discutent ensemble de quoi faire, comment le faire, puis suivent ensemble ce qui se met en place. Parmi les choses qui sont à discuter et décider ensemble, il y a le choix des données de terrain dont on a besoin pour ces politiques de terrain. C’est sur quoi il faut dorénavant avancer.

Sans avoir eu besoin du recensement pour cela, de nombreuses enquêtes montrent l’effet des discriminations et leur persistance d’une génération à l’autre. Les chiffres sont là pour dire l’actualité du combat pour faire reculer les discriminations, pour mener des actions effectives.

Parce que les questions facultatives sur le pays ou le département de naissance de nos parents, introduites cette année dans le recensement, sont dangereuses et inutiles, il ne faut pas y répondre.

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