Les syndicats mis sur le banc de touche
Effets d’annonces assez hypocrites car on le sait : l’intelligence artificielle va impacter fortement nos métiers. Et pourtant, il a fallu faire des pieds et des mains pour que la Confédération européenne des syndicats (CES) soit conviée aux discussions – dont certaines ont eu lieu dans l’ombre, au ministère du Travail. Le 10 février, seuls l’Organisation internationale du travail (OIT) et Uni Global Union étaient appelés à s’exprimer dans l’enceinte du sommet – la CGT, quant à elle, n’a pas pu avoir voix au chapitre.
Car l’enjeu pour Emmanuel Macron et l’Union européenne est géopolitique avant d’être social : ne pas se faire devancer par la Chine ou les États-Unis dans la course au développement de l’intelligence artificielle, et ne pas perdre des marchés qui pourraient rapporter gros.
Le président de la République a donc annoncé que ce ne sont pas moins de 109 milliards d’euros de fonds (publics comme privés) qui vont être alloués au développement de l’IA … alors qu’au niveau national, on crie au déficit en brandissant cet argument pour couper dans le budget de l’État, et notamment dans celui de notre Sécurité sociale. Peu étonnant donc que les syndicats aient été relégués au dernier plan par les organisateurs du Sommet.
Loin d’être un oubli, la volonté d’ostraciser les forces syndicales répond d’une stratégie de mise à l’écart des travailleur·ses qui se mobilisent. Alors que les batailles syndicales contre des géants de la tech (Amazon, Meta, Tesla) se multiplient en Suède, en Allemagne, au Canada ou encore au Kenya, consulter seulement à la marge les travailleur·ses et leurs représentant·es est une faute stratégique et démocratique.
Le syndicat Uni Global Union a pu, lors du sommet, diffuser cette vidéo qui raconte la réalité professionnelle des « travailleur·euses du clic » :
Remote video URL
IA : pas sans nous !
Pour construire une intelligence artificielle qui soit durable et qui respecte les droits des travailleur·ses, la France doit porter une stratégie industrielle qui aille en ce sens.
D’abord en protégeant des entreprises comme Atos, qui entre autres gère les supercalculateurs, machines sur lesquelles le fonctionnement de toute IA repose ; ensuite, en construisant un cadre multilatéral solide et qui encadrera l’intelligence artificielle, de sa conception jusqu’à ses impacts sur l’environnement, nos démocraties, et nos métiers.
Car si les États signataires de la déclaration finale du Sommet sur l’IA souhaitent vraiment une intelligence artificielle éthique, durable et inclusive, cela ne pourra pas se faire en dehors des instances internationales.
C’est pourquoi la CGT porte dans sa contribution au Sommet le fait que des travaux soient lancés rapidement dans le cadre de l’Organisation des nations unies, et notamment de l’Organisation internationale du travail. Une convention doit pouvoir entrer en vigueur rapidement afin de protéger les droits des travailleur·ses et de leurs représentant·es au niveau mondial. La CES prône aussi l’entrée dans le droit européen d’une directive sur les systèmes d’IA au travail, avec le soutien de ses affiliés français.
CGT, FO, CES et CFDT lors de l’évènement au ministère du travail le 10 février 2025
Et pourtant, ce Sommet (comme d’autres avant lui) n’a abouti qu’à une charte non contraignante et n’obligeant que ceux qui y croient. Charte qui n’a d’ailleurs pas été signée par les États-Unis ou le Royaume-Uni ! Ce sont donc les patrons qui se frottent les mains : en ne poussant pas de prime abord la nécessité d’une directive européenne, le gouvernement joue le jeu de la montre et laisse le temps au capital de développer l’intelligence artificielle comme il l’entend.
C’est d’ailleurs ce qu’a exprimé le représentant de la CPME lors de la conférence IA et avenir du travail : “Le vrai sujet de l’IA, c’est sa diffusion et non pas sa régulation.”
Mais la CGT ne lâche rien !
Si l’intelligence artificielle est développée sans aucune régulation et reste aux mains des géants de la tech et des intérêts du patronat, ce seront notre planète, nos systèmes démocratiques, nos métiers et nos qualifications qui seront en danger. Rien que pour l’environnement, le coût de l’IA est énorme : entre gestion des serveurs et consommation énergétique faramineuse, il est nécessaire de repenser le modèle, comme le conseil l’avis porté par Fabienne Tatot, secrétaire nationale de l’Ugict-CGT, au Cese.
Le gouvernement français doit donc prendre toutes ses responsabilités et ne pas tomber dans le piège de la course au progrès technologique piloté uniquement par le profit !
Car le patronat sait déjà bien tout ce qu’il aura à gagner avec une IA non réglementée. Lors de son allocution pendant la table ronde IA et avenir du travail lors du Sommet, la représentante du Medef a laissé échapper un des objectifs patronaux : que « l’IA arrête le diplôme à vie ».