Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les Présidents d’associations,
Monsieur le maire de Chateaubriant,
Mesdames, Messieurs,
Chers camarades,
Chère Carine,
Ici, dans cette carrière de la Sablière, nous sommes remplis d’émotion en pensant à nos 27 camarades qui y furent fusillés il y a 83 ans, le 22 octobre 1941.
Leur seule faute : être des militants. S’être insurgés contre la capitulation du gouvernement français dirigé par Pétain. N’avoir pas toléré que notre pays soit livré au nazisme hitlérien. Avoir défendu la liberté.
Ce 22 octobre, ce sont 48 otages qui sont exécutés, ici à Chateaubriant mais aussi à Nantes et au Mont-Valérien en représailles de l’assassinat du chef de la Kommandantur de Nantes par trois résistants. Deux jours plus tard, ils seront suivis par 50 otages exécutés au camp de Souges près de Bordeaux, puis par 95 autres le 15 décembre 1941. Combien d’autres par la suite ?
La liste des fusillés de Chateaubriant fut établie par les autorités françaises sous les ordres du ministre de l’Intérieur Pucheu qui intervient alors pour « obtenir des Allemands qu’ils choisissent de préférence des militants communistes avérés». Ce choix fut expliqué « pour éviter de laisser fusiller cinquante bons Français » selon les propos de ce sinistre ministre. Parmi eux, se trouvaient 17 militants de la CGT, dont les secrétaires généraux de 5 fédérations de la CGT : Jean Grandel des PTT, Désiré Granet du Papier-Carton, Charles Michels des Cuirs et Peaux également député du front populaire, Jean Poulmarch des Produits chimiques, Jules Vercruysse du Textile. Parmi eux également Jean-Pierre Timbaud secrétaire de la maison des métallos de Paris et Victor Renelle, un des fondateurs de la fédération CGT de la chimie. Parmi eux plusieurs élus, députés, maires ou conseillers généraux.
Guy Môquet, le plus jeune, était à peine âgé de 17 ans. Il n’était pas dans les listes de Pucheu, ce sont les Allemands qui l’ont rajouté en fonction de leur propre politique de terreur. Il n’a jamais parlé lors des interrogatoires violents qu’il a subis. Son principal chef d’accusation était d’être le fils de Prosper Môquet, secrétaire général adjoint de la fédération CGT des cheminots, député du front populaire, et de l’avoir soutenu lorsqu’il fut arrêté puis déporté en Afrique du Nord.
Leurs camarades étaient de professions diverses, ouvriers, imprimeurs, chaudronnier, Cheminots, métallos, gaziers, médecins, ingénieur, enseignants ou étudiants.
Tous figurent parmi les rares résistants de la première heure. Dès 1940, dans un océan de lâcheté ordinaire, alors qu’une majorité de français se soumet à la « révolution nationale » et assiste aux rafles, arrestations, mesures racistes et antisémites, ils refusent de baisser la tête. Ils reconstituent les syndicats interdits par Vichy. Ils organisent l’action clandestine et la propagande. Ils manifestent même avec beaucoup d’inconscience comme Claude Lalet qui initie la manifestation étudiante du 11 novembre 1940. Et ils gardent la tête haute jusqu’à leur exécution, chantant avec les 400 prisonniers du camp la Marseillaise, l’Internationale et la Jeune Garde et refusant d’avoir les yeux bandés au poteau d’exécution.
Le massacre de Chateaubriant inaugure la « politique des otages » des forces d’occupation allemandes et de leurs complices français qui souhaitaient par ces tueries empêcher que se développe une force de rébellion et tuer dans l’œuf tout espoir.
On le sait, c’est le contraire qui advint. Ce sacrifice de nos camarades a finalement donné du courage et permis à l’hostilité contre l’occupant de franchir un cap. Le retentissement fut grand dans toute la France mais aussi à l’international. Roosevelt et Churchill condamnent l’exécution. A la BBC, le général de Gaulle mit aussitôt en garde les oppresseurs : « En fusillant nos martyrs, l’ennemi a cru qu’il allait faire peur à la France et ailleurs ! La France va lui montrer qu’elle n’a pas peur de lui ». Louis Aragon écrit un texte, « Les martyrs », retraçant les dernières heures de nos camarades, qui sera diffusé sous le manteau en France mais aussi dans de nombreux pays du monde.
Comme l’a dit Georges Politzer, fusillé lui aussi le 14 mai 1942, « les barbares ont voulu les tuer, ils les ont rendus immortels ».
C’est à cet esprit de résistance que ces 27 ont donné corps.
Des grèves furent déclenchées pour dénoncer l’exécution de Chateaubriant comme celle des ouvriers de l’Arsenal de Brest le 25 octobre. Les Castelbriantais, bravant l’occupant, sont plus de 5.000 à défiler dans la carrière et à y déposer des fleurs.
Ainsi, si les mouvements organisés de Résistance ont rassemblé seulement 2 à 3 % de la population française, ils n’auraient pu ni survivre ni agir sans de multiples solidarités populaires au-delà de leurs rangs. Des solidarités qui se construisent à partir des revendications concrètes, sur le pain, le ravitaillement, les conditions de travail, les prisonniers…Prises en charge par des organisations, ces revendications ont progressivement constitué un état d’esprit collectif qui a grandi et servi de terreau. Ce sont ensuite des militant.e.s et des réseaux organisés qui ont contribué à donner le sens et les perspectives à cet état d’esprit. Ainsi, malgré l’interdiction de la grève, cent mille mineurs du Nord-Pas-de-Calais arrêtent le travail en mai-juin 1941. Leur grève prive d’énergie et de transports la machine de guerre allemande, tandis que les grèves patriotiques d’octobre 1942 en France partent d’un atelier SNCF à Oullins, près de Lyon puis font tâche d’huile au niveau national. A chaque fois ces grèves avaient un motif patriotique, mais d’abord des revendications concrètes liées aux conditions d’exercice dans les mines et au refus d’aller travailler en Allemagne pour les cheminots.
Cet état des lieux incite à l’humilité mais aussi à l’optimisme. Une minorité lucide et déterminée peut gagner le soutien et l’implication d’une large majorité, en développant des micro solidarités et en démontrant que l’on est toujours mieux défendu ensemble que seul. La résistance commence par des engagements concrets, des gestes simples et immédiats. L’institution dans son quotidien d’une sorte de réflexe de solidarité.
Gardons toujours en mémoire ce qu’a été le rôle de la classe ouvrière pendant cet épisode si sombre de notre histoire.
La classe dominante veut nous convaincre chaque jour que notre combat de transformation sociale est un combat du passé.
Mais que veulent-ils nous faire oublier ?
Qu’à plusieurs reprises dans l’histoire le monde du travail a su s’unir, se lever, bousculer l’ordre dominant et arracher le progrès social ?
Que dans les heures sombres de la guerre, le patronat avait choisi le camp de l’ennemi, criant « Plutôt Hitler que le Front populaire », rêvant de se venger de son humiliation de 36, de ces militants qui avaient eu l’affront de faire grève et d’occuper les usines pour arracher des conquêtes sociales majeures : augmentation des salaires, semaine de 40 heures, congés payés et premières conventions collectives.
Et bien nous, nous refusons d’oublier.
Nous refusons d’oublier par exemple qu’à Châteaubriant, la liste des 27 martyrs a été dressée par un patron français, Pierre Pucheu, qui commença par organiser en 1934 le financement de l’extrême droite par le comité des forges puis devint ministre de l’Intérieur du maréchal Pétain.
Nous refusons d’oublier et nous affirmons, haut et fort, que ce passé est notre fierté.
Nous avons une dette vis-à-vis de ces militants. Les mots inscrits, peu avant son exécution, par Guy Môquet sur une des planches de leur baraque : « Les copains qui restez, soyez dignes de nous ! » résonnent en nous et nous montrent le cap. Dans la lettre qu’il écrit à sa famille quelques heures avant son exécution, il écrit « Certes, j’aurai voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon cœur c’est que ma mort serve à quelque chose. »
Oui, Guy, ta mort aura bien servi à quelque chose. C’est grâce à la Résistance que nous avons gagné les grandes conquêtes sociales issues du programme du CNR : la sécurité sociale, les comités d’entreprises, les nationalisations et la reprise en main de l’économie. C’est grâce à la Résistance que nous avons gagné la liberté, la liberté de la presse protégée des forces de l’argent, la liberté syndicale, la liberté d’association et d’expression. Et c’est aussi grâce à la Résistance des femmes que nous, les femmes, avons enfin conquis le droit de vote. C’était il y a 80 ans, le 21 avril 1944 suite à un amendement de Fernand Grenier, suivi ensuite par l’égalité salariale instituée en 1945 par notre camarade Ambroise Croizat.
Aujourd’hui, l’histoire bégaye. Dans de plus en plus de pays occidentaux l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Pourquoi ? Parce que l’héritage de la résistance n’a jamais été aussi fragilisé.
Alors que le programme du CNR avait mis à l’ordre du jour la justice sociale, la violence de la mondialisation néolibérale nourrit le désespoir, le ressentiment et le repli identitaire.
Alors que la résistance avait érigé une digue politique et morale face à l’extrême droite, elle devient désormais fréquentable voire « nécessaire » pour une partie des classes dominantes qui préfèrent s’y allier plutôt que de céder de leurs richesses.
Alors que l’ONU a été créée en 1945 pour garantir la paix, le multilatéralisme n’a jamais été aussi affaibli et les conflits guerriers se multiplient, à commencer par celui du Proche-Orient et ses dizaines de milliers de victimes civiles.
Alors que la presse avait été protégée des forces de l’argent, elle est aujourd’hui possédée par quelques milliardaires, souvent au service de l’extrême droite.
Alors, en ce moment de basculement, vous rendre hommage c’est tenter d’être à la hauteur de votre engagement. Aux heures les plus sombres de l’histoire, vous avez eu le courage de résister à l’ennemi tout en ayant l’incroyable clairvoyance de préparer le jour d’après. C’est exactement ce qu’il nous faut faire aujourd’hui.
Résister, c’est refuser toute compromission avec l’extrême droite. C’est combattre fermement le racisme et l’antisémitisme et s’opposer aux discours qui transforment les immigrés en boucs émissaires.
Résister c’est faire œuvre de lucidité et avoir le courage d’apporter des réponses à la hauteur de la catastrophe environnementale. C’est ouvrir des perspectives sociales rassembleuses pour sortir des replis identitaires.
Résister, c’est faire primer l’essentiel, notre humanité commune. C’est remettre les choses à l’endroit et redonner du sens à ce monde de fou, dans lequel l’argent devient la seule boussole.
Résister, c’est prendre ses responsabilités. Nous avons, grâce à notre détermination, réussi à empêcher l’entrée à Matignon de Jordan Bardella, héritier d’un parti fondé par d’anciens Waffen SS. Soyons fiers de ce combat et conscients de ce que la fragilité de la situation exige comme sens des responsabilités. Dire non ne suffit plus, il faut des alternatives, des perspectives de progrès social et environnemental. L’unité est le seul moyen d’empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Refusons, dénonçons sans relâche les petits calculs politiciens qui aujourd’hui comme hier remettent l’extrême droite au centre pour empêcher les avancées sociales.
Les résistantes et résistants étaient jeunes, tournés vers l’avenir. Ne soyons jamais nostalgiques ou donneurs de leçons. La résistance est partie d’hommes et de femmes déterminés et souvent militant.e.s qui ont eu pour stratégie de s’appuyer sur les problèmes concrets de la population pour créer des solidarités et une défiance au régime de Vichy et aux nazis. Ainsi, des milliers de personnes qui ne l’auraient jamais imaginé y ont participé à leur échelle à travers de multiples solidarités dans leur quotidien. Et ce sont souvent les militants et militantes qui ont donné le sens et les perspectives.
Partir du quotidien. De la question de la dignité pour ne pas courber la tête. Rassembler par en bas et s’appuyer sur les pratiques et aspirations démocratiques. C’est de tout cela dont nous devons nous inspirer. Et aussi de la grande qualité des résistants et des résistantes. L’optimisme. Pas un optimisme béat ou langue de bois. Mais un optimisme de combat. L’histoire le montre. La clairvoyance et la volonté de quelques-unes et de quelques-uns permet de déplacer des montagnes. Rien n’est écrit d’avance. L’optimisme est ce qui permet de rassembler, de relever la tête.
Madelaine Riffaut, immense résistante, militante de la CGT qui fut entre autres journaliste à la vie ouvrière, et qui vient de fêter ses 100 ans nous dit : « Nous avons un message à transmettre, celui de l’esprit de Résistance : ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort. Aucune cause n’est jamais perdue sauf si on abandonne. Je ne suis pas une victime je suis un résistant. C’est en gardant cela en tête que les gens ont tenu dans les prisons de la Gestapo, les maquis, ou les camps de concentration ».
Dans les moments de doute, de fatigue, de désespoir – car il y en a ! – rappelons-nous ces paroles, rappelons-nous ces parcours.
Je tiens, au nom de toute la CGT, à vous adresser, à vous, les 27 fusillés de Chateaubriant, à vous les centaines de milliers de résistants et de résistantes, un immense merci. Merci camarades. Vous êtes notre honneur, vous êtes notre fierté, vous êtes notre boussole.
Pour finir, je tiens à saluer le travail réalisé par l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, née il y a 79 ans de la volonté des anciens internés du camp et des familles de fusillés.
La CGT en est partie prenante depuis son origine. C’est d’ailleurs un syndicaliste, un dirigeant CGT de la fédération de l’Énergie, Léon Mauvais, qui s’évada du camp de Châteaubriant avec Eugène Henaff en juillet 1941, qui en fut le premier président. Nos pensées vont vers Odette Nilès, grande résistante, « fiancée » de Guy Môquet qui n’aura jamais pu l’embrasser à cause des barbelés du camp. Ancienne présidente de l’association, Odette a mis infatigablement et jusqu’à son dernier souffle l’année dernière, toute son énergie dans cette bataille mémorielle essentielle.
A n’en pas douter, l’Amicale a encore de beaux jours devant elle et tu sais, chère Carine Picard-Nilès que tu peux compter sur l’engagement total de notre confédération.
Je vous remercie.